[Isabelle Stengers &
Didier Demorcy ]

FORUM

"Autour du site web: Violence et Vivant"

Site Interactif/interactieve website

       

        [Invités] Isabelle Stengers & Didier Demorcy



Isabelle Stengers -professeur de philosophie, s'intéresse aux modes de production et de transmission des savoirs et à la manière dont les savoirs transforment les capacités de sentir et de penser. - Université libre de Bruxelles - ULB
Email : istenger@ulb.ac.be

Didier Demorcy - réalisateur, s'intéresse aux questions mêlant production des connaissances, politique et perception. Il travaille avec différents médias : vidéo, radio, site Internet, installations... Email : d.demorcy@swing.be

En commun: ils ont notamment réalisé l'installation "Le premier laboratoire ? "autour des travaux de Galilée, le film vidéo documentaire "The Vallins Experiment… 1966 - 1999" en collaboration avec Vincianne Despret, reproduisant une expérience célèbre de psychologie-sociale. Ils ont également participé à la conception et au développement du système d'échanges de services Bru-S.E.L. dans le cadre du collectif Vendredi13.

Forum: "Autour du site Violence et Vivant"

Comment mettre en place à l'aide d'un site Web thématique, un dispositif interactif respectant le caractère ouvert du flux des interventions de ses visiteurs et procédant néanmoins à l'organisation, au tri, à la sélection de contributions qui traduisent la manière dont le sujet que l'on s'est donné, avance, rebondit, s'enrichit, se fabrique un passé et une identité ? Et cela sans faire intervenir d'instance "juge", externe au processus même de fonctionnement. En d'autres termes, comment substituer à la violence du "juge", qui dispose de critères fixes en fonction desquels le tri sera effectué, un processus d'apprentissage où les critères émergent en même temps que ce sur quoi ils portent ?

Il y a quelques années maintenant, lorsque nous avons décidé de lancer le projet, on trouvait déjà, sur le Web, de multiples sites de discussion, mais, dans la plupart des cas, celles-ci avaient un aspect terriblement "parcours aléatoire". Les thèmes étaient abordés, négligés, oubliés, repris, et il était difficile de les suivre puisqu'il n'existait aucun processus de sélection/organisation de ce qui avait été produit, seulement un flux permanent qui pouvait intéresser l'amateur compétent et bien inséré, mais qui laissait en état de désarroi nouveaux venus ou "passants"…

Actuellement, on trouve sur le net de plus en plus d'outils de gestion de communauté virtuelle basés sur le suivis de contributions, l'envoi automatisé de mails, le partage d'agenda, etc. mais il s'agit le plus souvent d'outils développés à destination de communautés dotées de finalités très précises - et partant relativement peu soucieuses d'abriter en leur sein les inévitables errances de ceux qui n'entendent bien apprendre que chemin faisant…

Pourtant, le caractère "ouvert" des interventions, au double sens où chacun(e) peut intervenir et peut avoir accès aux contributions des autres est une nouveauté précieuse et devrait être conservé. Un principe de sélection/organisation traduisant le projet d'un (Web)master, qui serait la solution la plus simple, nous semble également la moins adéquate aux possibles singularités du Web.

Tout bien réfléchi, les êtres vivants ont dû résoudre le même problème, et surtout ceux qui sont dotés d'une mémoire et de capacité d'apprentissage. Ils sont plongés dans un monde sans cesse changeant, ils ne sont pas "programmés" pour prendre en compte ceci et non cela, et pourtant, ils construisent une expérience et une mémoire, et ils apprennent.

Comment mettre en place à l'aide d'un site Web thématique, un dispositif interactif respectant le caractère ouvert du flux des interventions de ses visiteurs et procédant néanmoins à l'organisation, au tri, à la sélection de contributions qui traduisent la manière dont le sujet que l'on s'est donné, avance, rebondit, s'enrichit, se fabrique un passé et une identité ? Et cela sans faire intervenir d'instance "juge", externe au processus même de fonctionnement. En d'autres termes, comment substituer à la violence du "juge", qui dispose de critères fixes en fonction desquels le tri sera effectué, un processus d'apprentissage où les critères émergent en même temps que ce sur quoi ils portent ?

Ne soyons pas angéliques : dans la mesure où il s'agit de critère, de sélection, de production (de ceci plutôt que de cela) une certaine violence est à l'ordre du jour. Mais la question n'est pas d'éviter tout ce qui ressemble à une violence, mais de chercher s'il n'existe pas des définitions différentes de ce que l'on peut appeler "violence" : des violences qui limitent et détruisent, d'autres qui visent à activer, à obliger à penser et à se risquer… ce qui ne veut pas dire que cela réussit, comme le sait tout enseignant par exemple.

Le dispositif en cours de développement a pour vocation d'expérimenter un mode de structuration des interactions qui, en cas de réussite, devrait produire un double processus de construction : la construction progressive d'une mémoire d'apprentissage quant au sujet, que l'on a choisi vaste et indéterminé, "la violence et le vivant", et la construction d'un collectif d'apprentissage, intégrant au fur et à mesure tous les intervenants qui se seront saisi des moyens proposés de participer à la construction de cette mémoire.

Une expérimentation risquée, mais nous pensons que de telles expérimentations sont requises si le Web doit devenir le site délocalisé de processus collectifs d'apprentissage et d'appropriation de savoirs.